CHAPITRE ONZE
Le jeune médecin s’empara de sa trousse et se précipita vers l’infirmerie, accompagné d’un fantassin.
« C’est épouvantable, docteur, elle a été complètement brûlée et écrasée sous les caisses du wagon de marchandises. C’est un miracle qu’elle soit en vie. »
Au nom du Ciel, qu’allait-il bien pouvoir faire pour elle, dans cet avant-poste oublié parmi les jungles du Soudan ?
Il s’appuya au chambranle de la porte. L’infirmière vint vers lui. « Je n’y comprends rien, dit-elle à voix basse avec un regard appuyé en direction du lit.
— Laissez-moi l’examiner. » Il rejeta la moustiquaire. « Mais… cette femme n’est pas brûlée ! »
Elle reposait sur un oreiller blanc. Sa chevelure brune frémissait à la lumière comme si une brise soufflait dans cette pièce à l’atmosphère étouffante.
Peut-être avait-il déjà vu une femme aussi splendide, mais il ne s’en souvenait pas et, franchement, il n’avait pas envie de se le rappeler. Elle était si belle qu’il était presque pénible de la contempler. Elle n’avait pourtant rien d’une poupée de porcelaine. Ses traits étaient marqués, mais d’une délicatesse extrême. Ses cheveux bruns lui tombaient de part et d’autre du visage et dessinaient une grande pyramide soyeuse.
Il fit le tour du lit. Elle ouvrit les yeux. Ils étaient si bleus, c’en était remarquable. Puis, miracle des miracles, elle sourit. Il se sentit tout faible rien qu’à la regarder. Le mot de « destin » lui vint à l’esprit, s’imposa à lui. Qui pouvait-elle bien être ?
« Quel bel homme vous faites », murmura-t-elle. Elle avait un accent britannique parfait. C’est l’une d’entre nous, se dit-il tout en s’en voulant de nourrir des pensées aussi exclusives. Sa voix était, cependant, des plus aristocratiques.
L’infirmière bredouilla quelque chose. On chuchotait dans son dos. Il tira le siège de toile et s’assit auprès d’elle. Le plus naturellement possible, il tira le drap sur sa poitrine à demi dénudée.
« Trouvez des vêtements à cette femme, lança-t-il à l’infirmière. Vous nous avez fait une de ces peurs. Tout le monde croyait que vous étiez brûlée.
— Vraiment ? C’est gentil de leur part… Je me trouvais dans un lieu exigu où je pouvais à peine respirer, j’étais dans le noir. » Elle cligna des yeux quand elle regarda la fenêtre inondée de lumière. « Aidez-moi à me lever, je veux aller prendre le soleil.
— Oh, il est encore trop tôt ! »
Elle s’assit dans le lit et enroula le drap autour de son corps comme s’il s’agissait d’une toge. Ses fins sourcils noirs donnaient à son regard un air volontaire, qu’il trouva curieusement excitant, au sens physique du terme.
Elle avait l’air d’une déesse, ainsi drapée. Elle se leva et lui adressa encore une fois son sourire éclatant.
« Écoutez, vous devez me dire qui vous êtes. Votre famille, vos amis… nous les ferons prévenir.
— Accompagnez-moi dehors », dit-elle.
Il la suivit assez stupidement en lui donnant la main. Qu’ils racontent ce qu’ils veulent ! Pourquoi ont-ils dit qu’elle était horriblement brûlée ? Cette femme n’a absolument rien ! Est-ce que le monde serait devenu fou ?
Elle traversa la cour poussiéreuse et l’entraîna dans un jardinet normalement interdit aux malades et situé juste à côté du cabinet et de la chambre du médecin.
« Vous ne devriez pas sortir par une chaleur pareille, lui dit-il. Surtout si vous avez été brûlée. » Mais c’était stupide. Sa peau était impeccable, radieuse. De toute sa vie, il n’avait jamais vu quelqu’un qui fût en meilleure santé.
« Y a-t-il quelqu’un que je puisse contacter ? essaya-t-il à nouveau. Nous avons le télégraphe et le téléphone.
— Ne vous occupez pas de cela », dit-elle en jouant nonchalamment avec ses doigts. Il eut brusquement honte de ce que cela suscitait en lui. Il ne pouvait s’empêcher de la regarder, de fixer ses yeux et sa bouche. Il voyait ses seins à travers le drap.
« J’ai des amis, oui, dit-elle d’un air un peu rêveur, et aussi des rendez-vous à tenir et des comptes à régler. Mais parlez-moi de vous, docteur. Et de cet endroit. »
Ne voulait-elle pas l’embrasser ? Il avait du mal à y croire, mais il se promettait bien de ne pas laisser passer l’occasion. Il se pencha pour effleurer ses lèvres. Il se moquait bien qu’on le regardât. Il la serra dans ses bras, étonné de la façon dont elle plaquait ses seins contre sa poitrine.
Il allait la jeter sur son lit si elle n’y venait pas de son propre chef !
« Nous avons tout notre temps », murmura-t-elle tout en glissant les doigts à l’intérieur de sa chemise. Ils se dirigeaient vers la porte de la chambre. Elle s’arrêta et il la prit dans ses bras.
Elle écrasa ses lèvres sur les siennes. Honteux, affolé, il la déposa sur le matelas et ferma les volets de bois. Au diable les autres et ce qu’ils pouvaient penser !
« Vous êtes sûre de…» bredouilla-t-il. Il se débarrassa de sa chemise.
« J’aime les hommes qui rougissent, dit-elle à voix basse. Oh oui, je suis sûre. Je veux être prête avant que mes amis n’arrivent. Tout à fait prête…
— Quoi ? » Il s’allongea à côté d’elle, embrassa sa gorge et fit courir sa main sur son sein. Elle souleva doucement le ventre quand il se coucha sur elle. Elle ondulait doucement comme un serpent, elle était chaude, odorante et prête à le recevoir !
« Mes amis…» murmura-t-elle. Elle avait les yeux rivés au plafond. Il y avait en eux comme une étincelle de détresse. Puis elle le regarda. Elle n’était plus que désir. Sa voix se fit rauque quand elle le caressa, ses ongles griffèrent ses épaules. « Mes amis peuvent attendre. Nous avons tout le temps de nous revoir… Tout le temps…»
Il ne comprenait pas très bien ce qu’elle voulait dire, et cela lui importait peu.
FIN
Mais les aventures de Ramsès le Damné
ne sont pas terminées pour autant…